07 - Campagnes politiques, tribunes médiatiques
Christian Delporte, Isabelle Veyrat-Masson
Campagnes politiques, tribunes médiatiques
Le Temps des médias n°7, hiver 2006-07, p.5-9
Comment, depuis l'avènement de la démocratie, les médias ont-ils occupé l'espace politique, favorisant ou s'opposant, couvrant ou mettant en scène les ambitions des élus, ceux qui souhaitaient le devenir ou le rester ? Comment les hommes politiques ont-ils appris à maîtriser les outils médiatiques, adaptant leur discours ou leur comportement à leurs exigences et, parfois, cherchant à les contrôler pour peser sur l'attitude de l'électeur ? Comment, finalement, s'est constitué un espace de communication politique dont les campagnes électorales révèlent le fonctionnement et qui nourrit les imaginaires collectifs, ceux de l'homme politique, du journaliste ou du citoyen ordinaire ? Telles sont quelques-unes des questions qui ont présidé à la constitution du présent dossier.
Depuis bien longtemps, les historiens du contemporain s'appliquent à analyser les campagnes électorales et les moments de tension de la vie publique où se formalisent les attentes, les espérances, les aspirations des acteurs politiques comme celles des électeurs. Pour l'historien du politique, l'élection, expression et scansion de la démocratie, reste le moment privilégié d'observation des mouvements d'opinion. Toute la vie politique y mène, toute la vie politique en dépend.
L'historien des médias, lui, sans jamais perdre de vue le contexte dans lequel elle se développe, s'attache à saisir la complexité de la communication politique. Il en analyse les conditions et le fonctionnement, les modalités et les effets. Il s'attache aux circulations des messages et observe les mécanismes d'interaction liant l'offre politique et les hommes qui la portent, le filtre médiatique qui décrypte le message et les médias qui contribuent à le transmettre, l'opinion publique, enfin, dans toute la diversité. Et comme il est d'abord historien, il cherche dans les expériences antérieures les clés qui lui permettent de comprendre les singularités de la communication dans nos sociétés contemporaines.
Ce numéro du Temps des médias ne prétend pas expliquer, une fois pour toutes, quels furent, dans l'histoire, les rapports entre médias et politique, ni établir un inventaire définitif des attitudes médiatiques des hommes politiques, des manières dont agirent les hommes d'information durant les campagnes, des façons dont les uns ou les autres se saisirent, un jour, de la presse, de la radio ou de la télévision, pour asseoir leur pouvoir national ou leur carrière locale, pour emporter la conviction ou simplement pour offrir au lecteur, à l'auditeur, au téléspectateur les instruments d'un choix clair. L'ambition est plus modeste et, néanmoins, pensons-nous, utile. Elle vise notamment à attirer l'attention sur deux points essentiels, un peu vite oubliés dans l'emballement que nous connaissons aujourd'hui dès qu'est prononcée la formule magique « communication politique ».
D'abord, la communication politique telle qu'elle apparaît de nos jours, sous nos yeux, est le produit d'une longue histoire qui tient d'une sédimentation des expériences et des pratiques dont, somme toute, les inventions marketing d'aujourd'hui ne constituent que le vernis. C'est pourquoi, s'agissant de la France, par exemple, il convient d'observer des temps parfois lointains : ainsi, qui veut analyser la communication politique contemporaine a beaucoup à apprendre de la Révolution française.
Ensuite, alors que les prochaines échéances électorales nous poussent naturellement à resserrer notre regard sur la situation hexagonale, nous pensons, au contraire, nécessaire d'appréhender la communication politique à une échelle internationale. C'est pourquoi le dossier présenté entraîne le lecteur vers d'autres horizons, l'Italie, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Espagne, les États-Unis ou l'Argentine, saisis à des époques différentes, mais incitant nécessairement à la comparaison.
Annie Duprat montre dans « Une campagne de presse en 1791, la folie de Louis XVI » que la communication politique d'avant la démocratie et d'avant les médias de masse connaissait surtout la rumeur et la désinformation. Son exemple démontre également à quel point la réception des messages est incontrôlable, dangereuse. Dans l'article de Serge Aberdam « La Convention en campagne », on voit avec surprise combien les Conventionnels ont pu être préoccupés par l'information des citoyens à la veille d'élections cruciales : le texte du projet de Constitution sera ainsi diffusé au plus grand nombre possible, plus de deux millions. Le succès majeur du vote populaire de 1793, peut-être due à cette information, justifiera le profond sentiment de légitimité qu'en a tiré la Convention.
Près de cent ans plus tard - la propagande est née -, les journalistes qui inventent la communication de masse doivent négocier face aux pressions qui se sont multipliées, celles des hommes politiques, des « bourgeois », des « cléricaux »… et ils ne sont pas armés pour faire face à ces situations, comme nous le montre l'article de Michael Palmer.
La corrélation entre l'information, la communication et le processus démocratique est donc apparue très vite, même si sa mise en place ne s'est pas fait sans douleur, mais il faudra des années pour qu'existe une véritable maturité dans les relations hommes politiques, médias et citoyens.
Les nouvelles techniques d'information comme les changements de régime sont souvent à l'origine de ruptures dans les processus de communication politique. L'apparition de la télévision dans la vie publique italienne, analysée par Riccardo Brizzi, apparaît comme un bouleversement dans la manière traditionnelle de faire de la politique. Les hommes politiques s'installent dans la domesticité quotidienne et chacun arrête de manger sa soupe pendant qu'ils parlent… En Espagne, c'est à un changement radical de régime que les médias ont été confrontés. Ils apprennent vite les principes d'une information libre même si après l'attentat terroriste d'Atocha, tout semble revenir en arrière (Pere-Oriol Costa). La Grande-Bretagne aussi avait connu une sorte de régression de la liberté de la presse au moment où Margaret Thatcher arrive au pouvoir (Renée Dickason). Le nouveau Premier ministre anglais mobilise toute sa volonté pour influencer les médias ; elle entreprend avec la télévision une entreprise de séduction et engage avec la BBC un bras de fer, tout en s'appuyant sur la presse écrite. Avec le succès que l'on connaît. La presse écrite, dont l'influence semble bien affaiblie par le rouleau compresseur du média dominant, constitue pourtant un enjeu de taille sur le plan local comme nous le montre l'article de Pierre Lacassagne sur la rivalité entre la famille Baudis et La Dépêche du Midi et celui d'Eric Lagneau sur le rôle de l'AFP pendant les campagnes électorales. Ce dernier montre les interventions de l'AFP dans la fabrication de l'information pendant les campagnes électorales : formatage, « ordonnancement de l'événement électoral », mise en récit, hiérarchisation, etc. « Le média des médias » joue un rôle non négligeable pendant les campagnes électorales. Quand au combat de « géants » que se livre un média régional contre un pouvoir local, autour de Toulouse, les constants changements dans les rapports de force sont surtout frappants.
Les passions et les fureurs pour contrôler les médias surgissent nettement de l'ensemble de ces travaux. Pourtant, à lire les articles de Jean-Marie Charon, de Mirta Varela ou de Nikolaus Wegmann et Ute Mehnert, les décisions appartiennent bien au peuple qui n'est pas dessaisi de son pouvoir au profit des forces de la communication ; ce peuple qui se méfie des journalistes politiques, qui ne se laisse pas influencer par la presse lorsqu'il s'agit de désigner un leader comme Peron et qui écarte celui que les médias dominants semblaient avoir « sacré » comme Gerhard Schrà�der, montre, dans ces études de cas, sa résistance au pouvoir des médias.
Reste la portée symbolique et narrative, celle qui émane des films de fictions, ces récits plus ou moins flamboyants, souvent moralistes parfois très réalistes dans lesquels excelle Hollywood. Le travail de Jacques Portes souligne qu'il n'a pas fallu attendre les années les plus récentes pour que le cinéma, miroir et révélateur de la société qui l'entoure, dresse un tableau aux couleurs sombres, des jeux politiques.
à la lecture de plusieurs de ces articles, on a le sentiment que les hommes politiques et les médias en sont encore à un stade d'apprentissage de la communication politique. Sans doute, celle-ci est-elle un processus constamment à inventer. L'article de Marie Lherault sur la réduction et la redéfinition de l'espace public télévisuel révèle que cette situation que l'on connaît depuis les années 1950, où la télévision est positionnée comme média dominant au centre de la communication politique, n'est peut-être qu'une étape provisoire et que nous venons d'assister à son apogée.
Croiser le temps et l'espace est, après tout, une règle élémentaire de la réflexion historique. Mais, s'agissant du thème développé ici, les résultats, croyons-nous, en ont été à la fois frappants et déconcertants. Au lecteur d'en juger.