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AAC Colloque "« Conçues pour durer  ». Perspectives francophones sur les musiques hip-hop", Paris, 1er-3 février 201

Date limite : 1er juin 2016

Depuis 40 ans, les musiques hip-hop portent des esthétiques fondées sur de nouvelles technologies musicales (DJing, sampling, MAO…) et des innovations dans les techniques de voix (interprétations rappées, ragga, human beatboxing…). Ces pratiques artistiques ont contribué à des transformations économiques, culturelles, linguistiques et esthétiques, et ce à une échelle internationale : dynamiques de globalisation et d’appropriation culturelle, dématérialisation des Å“uvres, économie de la réputation, productions transmédias…

Ces pratiques et ces esthétiques, souvent données pour des modes éphémères, se sont avérées bien plus pérennes. Pour paraphraser le titre d’un album qui a fait date, elles semblent bel et bien « conçues pour durer »[1]. Aux États-Unis, les musiques liées au hip-hop (rap et contemporary RnB en tête) forment l’un des segments les plus importants du marché musical. Dans de nombreux autres pays, leur développement a abouti à une diversification sans précédent des musiques populaires.

Si les États-Unis et la Jamaïque en ont été les pionniers (Chang, 2007 ; Blum, 2009), les musiques hip-hop ont été très tôt adoptées dans des pays francophones selon une dynamique plus vaste d’appropriation internationale (Mitchell, 2001). Pourtant, le milieu académique de langue française ne s’est pas saisi de façon similaire de ces pratiques, contrairement à la sphère anglophone. Un champ interdisciplinaire des hip-hop studies (Forman et Neal, 2012) a vu le jour précocement, depuis les campus états-uniens jusque dans l’ensemble du monde anglo-saxon dès les années 1990. Il a irrigué l’ensemble des sciences sociales et contribué à des analyses majeures (Shusterman, 1992 ; Crenshaw, 1993 ; Gilroy, 1993 ; Butler, 1997 ; Negus, 1999). Les mondes académiques francophones, malgré quelques études pionnières (Lapassade et Rousselot, 1990 ; Bazin, 1995 ; Durand, 2002 ; Béthune, 2004), ne prennent que depuis une dizaine d’années la mesure des esthétiques hip-hop et des transformations sociales, politiques ou culturelles qui les accompagnent (Pecqueux, 2007 ; Molinero, 2009 ; Hammou, 2012).

Ce colloque vise à faire le point sur les travaux récents et à mettre en valeur les recherches émergentes francophones sur les musiques hip-hop, qu’elles portent leur attention sur les mondes francophones ou au-delà. Cette ambition s’inscrit dans une volonté de faire se rencontrer et dialoguer des chercheur-e-s qui, jusqu’à présent, ont eu peu d’occasions de se réunir autour de leurs objets communs. Mais elle s’appuie aussi sur la conviction que, face à l’abondante et incontournable production scientifique anglo-saxonne, des approches francophones peuvent offrir un décentrement intellectuel fécond pour penser les pratiques liées aux musiques hip-hop.

Ce colloque interdisciplinaire constitue un jalon dans la structuration d’un espace scientifique francophone partagé. Il valorisera par exemple les propositions de communication ayant une dimension réflexive, celles dépassant le clivage entre approches internaliste et externaliste, celles attentives aux rapports de pouvoir et notamment aux rapports sociaux de sexe, de classe ou de race, ou encore celles articulant les dimensions souvent cloisonnées de la réception, de la production et de l’intermédiation artistiques. Nous attendons également que chaque communication soit étayée par un matériau empirique explicite (analyse de corpus, démarche expérimentale, enquête de terrain, données statistiques, etc.).

Nous proposons six axes indicatifs, points de départ pour un état des lieux des recherches francophones sur les musiques hip-hop :

Axe 1 : Économie du hip-hop et travail artistique

L’approche des musiques hip-hop comme pratiques professionnelles a été l’un des leviers majeurs du renouvellement des travaux sur ce courant musical dans les années 2000. Aux panoramas d’ensemble examinant notamment la place du rap dans l’économie de la musique en France (Guibert, 1998 ; Hammou, 2008) se sont ajoutés des examens du travail artistique (Jouvenet, 2006) ou de la genèse des structures de production et de diffusion des musiques hip-hop (Hammou, 2012). Cependant, dans ces univers professionnels en évolution rapide et soumis à des mutations technologiques spectaculaires, l’économie du hip-hop appelle de nouvelles investigations. Comment la dématérialisation de la musique transforme-t-elle des filières professionnelles longtemps organisées autour du disque ? Comment les question de la formation, du salariat et de l’entrepreneuriat se posent-elles dans ces univers de travail marqués par le régime de l’intermittence ? Quelle est la place du spectacle vivant dans cette économie de la musique ? Comment la diminution des coûts de production vidéo et musicaux redéfinit-elle la question de l’indépendance ? On sait également peu de choses de l’histoire des musiques de danse qui ont servi de creuset à l’émergence des esthétiques hip-hop dans les années 1980 (Sermet, 2008 ; Roueff, 2014), et de leur (non-)inscription dans les industries culturelles. Enfin, les intermédiaires du travail artistique (Lizé et al., 2011), qu’ils soient spécialisés dans les musiques hip-hop ou au contraire qu’ils prennent en charge différentes esthétiques, restent peu étudiés. Face à des études francophones très centrées sur le cas français, nous invitons également à réfléchir à ces problématiques à partir d’études empiriques portant sur d’autres contextes nationaux.

Axe 2 : Politiques publiques, institutionalisation et patrimonialisation

Parallèlement à leur développement au sein des industries culturelles, les musiques hip-hop ont fait l’objet d’une attention récurrente de la part des pouvoirs publics. En France, notamment, elles ont été un élément central de certains dispositifs liés à la politique de la ville, avant de bénéficier d’appuis au sein des politiques culturelles (Lafargue de Grangeneuve, 2008). Plus récemment, ce sont également des projets urbanistiques destinés à encadrer et valoriser ces pratiques qui ont vu le jour (La Place à Paris, Le Flow à Lille, ou la future Maison des Cultures Urbaines à Dakar). Cette attention des pouvoirs publics a accompagné un processus plus large d’entrée du hip-hop dans des institutions établies, par le biais d’expositions dans les musées ou l’intervention d’artistes dans des conférences universitaires. On pourra donc s’interroger ici sur ce que ces dispositifs révèlent à propos des modalités d’institutionalisation du hip-hop. Comment induisent-ils des opérations de sélection, et comment s’inscrivent-ils plus largement au sein de dynamiques de patrimonialisation des musiques populaires (Le Guern, 2012) ? Qu’indiquent-ils sur les représentations de ces musiques chez les producteurs des normes de la légitimité culturelle (pouvoirs publics, universités, revues scientifiques, musées…) ? Dans quelle mesure ces projets participent-ils à des logiques de développement territorial plus larges, dans un contexte où la culture sert dorénavant d’outil de développement et de promotion de la ville à l’échelle mondiale (Chaudoir, 2007 ; Vivant, 2009) ?

Axe 3 : Esthétiques, formes et contenus

Les premières analyses esthétiques ou linguistiques des musiques hip-hop se sont focalisées sur le rap, et plus particulièrement sur les paroles de ses auteurs-interprètes. Élaborées en marge d’un courant d’analyse dominant du rap comme « expression des banlieues », elles ont ouvert la voie à des travaux plus fouillés (Béthune, 1999), offrant une critique de la réduction du rap à des « textes » (Pecqueux, 2007) comme de l’occultation de l’élaboration artistique des Å“uvres (Barret, 2008). Ont ainsi été mis en évidence le travail de la rime et des rythmes, ou encore l’« Ã©criture de la voix » (Rubin, 2002), tant à partir d’outils empruntés à la musicologie (Jacono, 1998) qu’à l’analyse littéraire (Blanckeman et Loucif, 2012 ; Debov 2012). Plusieurs recherches ont également dépassé l’opposition entre analyse interne des Å“uvres et analyse externe des contextes de production (Vettorato, 2012 ; Sonnette, 2014). Néanmoins, l’omniprésence de la voix rappée comme objet d’analyse formelle (Carinos et Hammou, 2016) occulte de multiples autres pistes, que nous espérons voir explorées : Vocoder et Auto-Tune, MAO et sampling (Schloss, 2004 ; Déon, 2011), turntablism (Smith, 2013), human beatbox, RnB, etc. L’esthétique des clips et des visuels pourra également faire l’objet de propositions.

Axe 4 : Ancrages et circulations spatiales

Depuis leurs bourgeonnements, les musiques hip-hop se sont diffusées en différents espaces, au travers de circulations d’acteurs, d’objets, de sonorités et d’idéologies. Le rap, notamment, a donné lieu à des variations stylistiques de par son exportation dans différentes villes des États-Unis (Forman, 2002 ; Hess, 2010a et b) tout en connaissant une globalisation synonyme d’appropriation et d’ « indigénisation » (Appadurai, 2001) dans d’autres continents (Mitchell, 2001 ; Androutsopoulos et Sholz 2002). Des chercheur-e-s ont ainsi souvent pris le rap comme exemple pour aborder la mondialisation culturelle (Condry, 2006 ; Rérat, 2006 ; Puig, 2012). Le rap a également été interprété comme manifestant un ancrage (spatial et identitaire) fort dans le local. Il a pu révéler des géographies particulières à l’échelle du quartier, de la ville ou de la région (Mbaye, 2015), tant dans les représentations que dans les pratiques (Miller, 2008 ; Guillard, 2012, Quittelier, 2014). Dans cet axe, il sera possible d’interroger ces trajectoires translocales et transnationales des musiques hip-hop, depuis les centres vers les périphéries, et d’examiner leurs modalités d’ancrage ou de déterritorialisation. Une attention particulière sera portée à l’emploi d’approches multiscalaires et de terrains « multi-situés » (Marcus, 1995), ainsi qu’aux études prenant en compte la complexité des contextes spatiaux et historiques dans lesquels ces musiques prennent place (Fernandes, 2006 ; Shipley, 2013 ; Lesacher, 2015).

Axe 5 : Réceptions, usages et médiations

Au-delà des artistes mis sous les projecteurs médiatiques, les sciences sociales s’attachent depuis un certain nombre d’années à comprendre les formes d’appropriations et d’usages des musiques hip-hop. Elles ont notamment porté leur attention du côté des publics du rap et de leur hétérogénéité (Molinero, 2009), ou du rôle du hip-hop dans la diffusion d’innovations lexicales (Podhorná-Polická et Fiévet 2013) ou l’élaboration du plurilinguisme (Auzanneau 2001). La statistique publique indique en outre l’importance massive, désormais, de l’écoute du R&B dans des pays comme la France, ou encore du « dégoût » pour certains genres musicaux, phénomènes pour l’instant peu ou pas analysés (Bryson, 1996). Dans ce cadre, des travaux pourront interroger la frontière entre « réception » et « usages », voire la « médiation ». Certains travaux ont ainsi décrit des figures irréductibles à l’un ou l’autre de ces termes, telles que les « francs-tireurs du goût » (Hammou 2012) ou les « groupies » (Aterianus Owanga 2013). Au-delà, c’est bien la diversité des usages sociaux des musiques hip-hop qui méritent une attention soutenue. On pourra ainsi interroger le rôle d’activités précises (critique artistique, management, production, composition…) dans la production collective des musiques hip-hop. Nous proposons de la sorte un décentrement du regard scientifique : alors que la plupart des travaux s’attachent au rôle des mondes du hip-hop eux-mêmes dans la fabrique de ces musiques, des contributions pourraient mettre l’accent sur la contribution d’acteurs se définissant ou étant perçus comme exogènes à ces mondes. On pense par exemple aux productions académiques, qui pourront être étudiées dans une perspective réflexive, aux discours du personnel politique, au traitement médiatique ou encore aux procès intentés aux rappeurs (Sonnette, 2013). Ces enjeux engagent aussi bien les questions de la propriété intellectuelle, troublée par les pratiques liées au sampling, que les conflits autour de la rémunération du travail artistique ou les tensions politique et juridiques autour de la liberté d’expression et de l’outrage (Crenshaw 1993 ; Paveau 2008).

Axe 6 : Processus identitaires, autocompréhension et authenticité dans les mondes du hip-hop

La question de l’authenticité est souvent mise au centre des discours et pratiques sociales dans les mondes du hip-hop, affirmant que les musiques hip-hop comporteraient des modes et des raisons d’être intrinsèques, découlant de leurs contextes sociaux d’origine notamment, et qu’il s’agirait de conserver, malgré la globalisation et l’appropriation de ces musiques en différents espaces. Cependant, loin d’être une caractéristique intrinsèque, l’authenticité correspond à une qualité attribuée en relation avec des conventions propres à différents genres musicaux (Moore, 2002). Concernant les musiques hip-hop, plusieurs travaux ont montré comment les conflits d’authenticité pouvaient être révélateurs de délimitation des frontières sociales ou des catégories identitaires (Charry, 2011 ; Aterianus-Owanga, 2013, 2014), notamment dans le registre du genre (Cheney, 2005 ; Keyes, 2012).

Cet axe met l’accent sur les logiques « d’authentification » et les modes d’autocompréhension propres aux musiques hip-hop. A l’instar des oppositions entre « underground » et « mainstream », ou du symbole honorifique de la « rue » (Hammou, 2012), comment les acteurs des musiques hip-hop comprennent-ils, authentifient-ils ou définissent-ils leurs pratiques ? Comment ces définitions s’insèrent-elles dans des enjeux politiques ou des processus identitaires plus larges ? En dépassant la notion réifiante d’identité (Brubaker et Cooper, 1999), nous invitons à appréhender les types d’identification et de catégorisation survenant dans le creuset des musiques hip-hop, dans les registres de l’ethnicité, du genre, de la classe, de la race, de l’âge… Une attention particulière sera également portée à la manière dont des régimes d’authenticité spécifiques (Guillard, 2014) se construisent en fonction des moments et des lieux, par exemple au sein de scènes musicales (Bennett, 2004).

Modalités de soumission
Les propositions de communication sont à envoyer par mail

avant le 1er juin 2016

au comité d’organisation, à l’adresse colloquemusiqueshiphop@gmail.com qui en accusera réception. Elles devront respecter le format indiqué et fournir les informations suivantes :

prénom et nom, inscription disciplinaire, fonction et rattachement institutionnel actuels ;
adresse personnelle, adresse professionnelle, adresse électronique et numéro de téléphone (portable si possible) ;
courte bibliographie, précisant les publications importantes liées à la communication (non obligatoire) ;
le titre de la communication ;
le résumé de la communication (3 000 à 5 000 signes espaces compris), précisant le cadre théorique, le terrain de l’enquête qui sera discutée, les catégories qui ont été employées pour son analyse et la façon dont la communication compte les mettre en perspective.

Le colloque se déroulera lors du 1er au 3 février 2017, dans les locaux de La Place (centre culturel hip-hop au sein de la canopée des Halles, à Paris).

Citer cet article : http://www.histoiredesmedias.com/AAC-Colloque-Concues-pour-durer.html

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